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Rencontres d'écriture 

 

L'écriture, pour certains, c'est une obligation, un besoin. Pour d'autres, c'est un exutoire.

Mais ce peut être aussi une rêverie, un plaisir, un échange, un passage, une traduction des sentiments et comme on monte une mayonnaise, assemble un puzzle ou construit un mécano, on assemble des mots pour donner à penser, à expliquer, à convaincre, à séduire.

Et le dictionnaire en est plein, de ces mots. Tous plus curieux les uns que les autres.

Il y a les inattendus, les étonnants, les détonants, les stupéfiants, les riches, les pompeux, les extravagants, les fous, les bouffons et les outrecuidants.

Il y a aussi les mots fleurs, les mots pleurs, les mots fruits, les mots sourires, les mots sublimes, les mots mimes, et jusqu'aux mots rimes pour qu'un simple quatrain se déclame en alexandrins, et ce, même quand le résultat est loin d'être subtil.

Il y a encore les mots de toutes pièces inventés, pour un futur emploi des plus inattendus.

Les mots lancés, les mots susurrés, les mots étouffés, les mots osés qui frémissent d'aise, avant d'être jetés, les mots pour, les mots contre, les mots construits, les mots déconstruits, les mots de toutes les couleurs, assemblés en idées, en tableaux, jetés sur une page blanche, vierge, immaculée où tous reste encore à écrire.

 

Neuf annnés déjà, que nous avons créé au sein de notre résidence un atelier d'écriture ouvert à tous....

Voici quelques textes :

La micheline

Le train, un vieil omnibus jaune et rouge, dont la guérite ou plutôt la loge de conduite juchée sur le toit comme un béret mis de travers lui donnait une silhouette de cyclope cubiste, avait brinquebalé sur la voie déformée. Un chapelet de petites gares avait montré serviettes, chemises et bleus de travail qui séchaient sous la brise de l’été finissant.

Il desservait enfin la station qui sommeillait sous ses vieux marronniers. Et je descendis les oreilles toutes bourdonnantes du fracas des aiguillages et des hoquets asthmatiques échappés de la machine qui, rivalisant vainement avec les antiques locomotives d’autrefois, émettait quelques nuages de grasse fumée noire.

Sur les gravillons roses du quai désert et après que la cloche argentée eut cessé de striduler, le silence survint très pur, dans une atmosphère de cristal. L’air, très doux, exhalait les senteurs de rosée et de forêt toute proche. Le temps ne m’était pas compté. J’avais pris le train du matin et on ne m’attendait qu’en fin d’après midi.

Comme si je ne troublais plus la nature, de petits effleurements se mirent à marquer la présence d’animaux invisibles. La scierie, à la lisière des pins aux troncs orangés, lança ses vociférations mécaniques, tandis qu’une odeur de résine envahit le pays et couvrit l’odeur chaude du train dont je voyais disparaître au loin, dans la chênaie qui ponctuait l’horizon, les yeux rouges comme les coquelicots de mon enfance.

A cet instant précis, je regrettais d’être venu dans ces lieux jadis aimés. Personne ne m’attendait en réalité. La chambre de l’auberge de la Croix Blanche resterait vide. Alors je m’assis sur le vieux banc moussu et sous l’horloge démantibulée aux chiffres romains à demi effacés, j’attendis l’ultime et unique omnibus du soir qui me ramènerait au cœur de la ville où d’autres souvenirs, plus vivants ceux-là, se mêlaient au lacis des peines et des joies quotidiennes          

 

Claude-Alain Leconte

Le chien

J’ai toujours refusé d’héberger le moindre chien chez moi, fût-ce pour un jour ou deux. J’imaginais les contraintes : sorties régulières, arrêts continuels pour permettre à l’animal de marquer son territoire au même potelet ou réverbère, ramassage d’épanchements nauséabonds deux ou trois fois durant la promenade imposée. Et comment lutter contre les abois intempestifs en pleine nuit venant ponctuer le carillon de l’horloge ?

On dit souvent que l’on refusera d’un ton catégorique !

Oui mais, quand un couple d’amis part et franchit l’Atlantique, que l’on connaît leur chien que l’on caresse régulièrement lorsque l’on vient chez eux, et qui vous aime, et au sujet duquel l’on s’est malencontreusement exclamé à plusieurs reprises : « Ne croirait-on pas le meilleur chien du monde ? »

Oui dans ce cas, que faire lorsque les amis en question vous déclarent : « Nous partons dans deux jours. Vous l’aimez tellement, vous le garderez bien ! »

Et le bouvier suisse arriva. Toutes les excursions prévues furent abandonnées.

Mais l’animal possédait-il le sens magique, l’art des sortilèges ?   

Tous les deux nous étions inquiets. S’adapterait-il ? Le supporterais-je ?        

Après une dizaine de jours il est revenu chez ses maîtres. Et je revois ses bons gros yeux toujours dirigés vers moi, les ciseaux de ses pattes fauves lorsqu’il dormait, les mouvements joyeux de tout son corps pendant la promenade … et il me manque déjà !   

 

Claude-Alain L.econte

Superstition

Voilà deux jours que mes ennuis ont commencé.

Et plus précisément hier matin. Je me souviens m’être levé du pied gauche, un peu par hasard, au petit bonheur.  Et je n’aurais pas fait de rapprochement, si, presque aussitôt après, je n’avais pas fait sauter les plombs en allumant l’éclairage dans le couloir, et qu’à nouveau, la même mésaventure se renouvelait en branchant le grille pain. Que dans la foulée je ne parvenais pas à rattraper le bouchon du tube dentifrice avant qu’il ne disparût par la bonde du lavabo, et qu’en désespoir de cause, je dus renoncer à le récupérer, faute de temps.

Ces conjonctions de faits successifs ont commencé à m’interpeller me laissant pantois d’autant plus que je ne suis pas davantage parvenu, ce matin-là, à mettre de l’ordre dans mes cheveux malgré une lutte opiniâtre avec un épi récalcitrant qui résistait à tous les placages et tous les laquages, et qu’il a fallu que je remette ma chemise de la veille, parce qu’une goutte de café avait maculé la neuve que je venais d’enfiler.

Oui, cela a commencé ce matin là. Je suis parti au travail avec une chemise sentant la sueur et avec un épi sur la tête comparable aux plus beaux palmiers de la Côte d’Azur pour arriver, ahuri, devant des grilles de métro fermées.  

Ce matin-là, en effet, la ligne de métro que je prends habituellement avait arrêté son service à cause d’un incident technique. En conséquence de quoi je suis arrivé en retard au travail.

Et puis toute la journée n’a été qu’une suite de contrariétés jusqu’au soir.

Quant à la nuit, autant vous dire que je n’ai pas dormi du tout. Si bien que ce matin, je n’ai pas pris garde au pied que je posais au sol.

A peine avais-je mis ce pied que je me rendis compte, la peur au ventre que tout recommençait … comme hier !

Et puisque la veille ne m’avait rien apporté de bon, je sentis l’inutilité de cette journée commençante, et je décidai de me recoucher.

 

Jean-Marc Kerviche.

 

 

Ne revenons pas sur les lieux de notre enfance

 

Les pièges du regard rétroactif. (Conseil de Loth)

Tentation et déception du retour sur un lieu d’enfance

 

Comment me suis-je retrouvé dans ce village où j’avais le souvenir d’avoir vécu un temps ? Très longtemps, il y a si longtemps.

En fait, mes parents nous avaient transplantées, mes sœurs et moi, loin du fracas des alertes de bombes visant l’usine de construction automobile située très loin de notre immeuble. J’ai compris plus tard que les tirs pouvaient manquer de précision !… 

Ce village montait à l’assaut de la colline sur laquelle il s’adossait. La rue principale revêtue de gros pavés inégaux était frangée d’un caniveau où courait une eau bleutée pour se jeter dans un collecteur couvert par une large grille laissant deviner une profondeur effrayante pour un regard d’enfant. C’est l’odeur de ce collecteur qui m’a ramenée en arrière, une odeur de savon, de lessive mêlée aux eaux douteuses. Presque d’instinct, j’ai remonté la pente pour revoir la maison que nous avions occupée. Les constructions avaient changé, étaient agrandies, transformées, rehaussées, chamboulées. Non vraiment, la maison devait avoir été démolie. Pourtant, un mur épais, d’un beige fané, à la texture grumeleuse s’est dressé dans le tournant et son grand portail aveugle a suivi, un portail dont le bois avait pris le gris des vieux bois résistants, mais délaissés et délavés par le temps. Derrière ce qui m’avait semblé être un mur très haut le perron offrant son profil marqué par trois petits murets bétonnés disposés en escalier. Oui, c’était elle la maison dans laquelle me restait un souvenir apeuré : le réveil d’une sieste, dans une grande chambre chauffée d’un soleil engourdissant où je m’étais sentie abandonnée.

Il me semblait que la maison avait fait l’effort de se maintenir là, sans plus personne pour s’en préoccuper, simplement pour me retrouver les séquences de vie de ma très jeune existence. L’extrémité du fil était tirée pour enclencher le déroulement d’émotions qui m’avaient habitées.

 

France Cotte

 

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